* Un founou-founou est une petite tornade typique du Sahara Malien.
La grève avec occupation commence
Lundi, personne ne devait rejoindre son chantier mais se rendre à 6h45 devant la gare de Viry-Châtillon. Je demandais aux camarades de ne pas former d’attroupement devant la gare, mais de se séparer en petits groupes. Nous nous sommes retrouvés à une trentaine. Je suis parti avec deux camarades en reconnaissance, vers le site situé à 300 m de la gare. Après inspection, nous demandons par téléphone portable aux camarades de venir nous rejoindre par petits groupes.
A 7h30, l’occupation avait démarré. Nous nous tenions devant l’accueil avec neuf drapeaux CGT. Je vais demander à la secrétaire d’informer la direction de notre présence : “Nous sommes des travailleurs sans-papiers du groupe G. en grève avec occupation du site”. Un DRH s’est présenté et a aussitôt pris contact avec un délégué syndical CGT de l’entreprise, Fernandez. J’avais déjà rencontré Fernandez qui bien que se disant solidaire avec nous, n’avait pas agi. Une fois arrivé, Fernandez est invité par la direction pour parler de la situation. Ensuite, Fernandez et la direction me demandent de proposer aux grévistes de s’installer dans le local syndical de Fernandez. Clairement, ils veulent protéger l’image de l’entreprise. Avec Samba et Boulai, nous allons rencontrer la direction, pendant que les autres vont rejoindre le local syndical.
Pendant la négociation, la direction, par derrière, a appelé la police nationale. À la grande satisfaction de la direction, qui espérait peut-être que nous serions immédiatement menottés, deux policiers font irruption dans la salle de réunion. Un policier demande qui est le responsable du mouvement ? Je me manifeste. Ils me demandent pourquoi nous manifestons sur la voix publique. Je réponds que nous ne manifestons pas sur la voix publique. Nous sommes des travailleurs sans-papiers du groupe G., en grève pour demander notre régularisation. Très bien, répond-il, nous nous reverrons bientôt !
La direction nous demande la liste des grévistes. Nous leur communiquons 38 noms. La direction contacte les boîtes d’intérim concernées et les invite sur le site. Ils vinrent le jour même. Le ton monta entre la direction de G., les boîtes d’intérim et nous. La direction feint de découvrir que nous avions utilisé de multiples identités : “nous avons été abusés par les boîtes d’intérim”, dit le DRH d’une entreprise de G.. Il menace de porter plainte contre nous pour usurpation d’identité. Je réplique que si nous avons pu changer 2 ou 3 fois de noms au vu et au su des boîtes d’intérim, des chefs de chantiers et des conducteurs de travaux, c’est que l’entreprise du groupe G. était complice de ces usurpations d’identité. Compte tenu de la solidité de mes arguments appuyés par des preuves, à ce jour, le groupe G. n’a jamais porté plainte contre nous pour usurpation d’identité.
Les négociations continuent jusque tard dans la soirée. Puis reprennent le lendemain et le surlendemain, du matin au soir. La direction fait l’historique des contrats de chaque salarié. Nous sommes tous des intérimaires. Elle propose finalement en tenant compte de l’ancienneté, 12 requalifications en CDI, 12 CDD avec le groupe G., 7 autres CDD avec les boîtes d’intérim. Sur les 38 cas, seuls ceux des 31 grévistes présents sur le site sont donc étudiés. Nous refusons les 19 CDD. Il fallut l’intervention du PDG d’une des entreprises du groupe pour obtenir 12 autres CDI. Pour les 7 restants, la situation restait bloquée. La tension était montée en flèche à plusieurs reprises pendant les discussions.
Régulièrement, j’appelais Bertrand pour le tenir au courant de la situation. “Ah, vous avez démarré ?”, fut sa première réaction. “C’est bien, je vous soutiens”. Il est venu après quelques jours d’occupation et a assisté à certaines négociations. Mais une fois les 24 dossiers constitués, aucun syndicat ou association n’était présent pour nous accompagner pour déposer les dossiers à la Préfecture de l’Essonne. C’est même le PDG qui les a déposés, le 11 juillet.
Lors des négociations, nous avons obtenu que les dossiers soient déposés collectivement à la préfecture de l’Essonne, et non dispersés selon nos lieux de résidence. Une fois les dossiers déposés, nous avons eu la visite du journal Le Parisien pour m’interviewer. L’article qui parut fit bondir la direction, qui exigeait de nous la discrétion.
Le 14 juillet, nous avons eu la première visite de Jacqueline, de Droit-Devant et vers le 16, la visite de Chantal, du syndicat CGT pour les fiches de synthèses des dossiers déposés. Quelques jours plus tard, Chantal revient accompagnée d’un autre responsable de l’UD-CGT. Ils nous demandent de lever l’occupation du site pour que nos dossiers soient traités. Nous refusons et leur demandons d’obtenir de la Préfecture une garantie écrite, seule condition pour que nous envisagions de reprendre le travail. Après notre refus, l’UD nous tourne le dos. Mais Bertrand continue à revenir nous voir de temps en temps.
Les conditions de l’occupation sont très difficiles : des cartons trouvés dans les poubelles pour dormir, à 20 dans un local de moins de 20 mètres carrés et les autres dans la cage d’escalier qui mène à la cantine de l’entreprise, devant les toilettes, avec des couvertures qui ont déjà servi en 2006 aux travailleurs sans-papiers de Buffallo Grill. Et pour manger, on cotise 5 euros chacun pour aller acheter la nourriture dans un foyer africain à 20 km de là. Les repas arrivés, on mange debout car nous n’avons qu’une seule table, qui nous sert aussi de bureau lors de nos réunions. Car nous travaillons régulièrement sur nos dossiers. La cantine de l’entreprise est à quelques mètres de notre local. Les salariés du groupe nous voient manger, debout les uns contre les autres, et passent sans nous saluer, y compris les délégués syndicaux du groupe. Il y avait des exceptions. L’une d’elle est Fatima qui, dès les premiers jours et pendant toute la grève, vient nous rendre visite après sa journée de travail. Ne pouvant plus cotiser chacun pour 5 euros tous les deux jours, ce qui avait couvert nos frais, nous commençons, après deux mois, à organiser des collectes. Les collectes sur le marché avaient parfois lieu sous la menace de la police qui nous demandait de quitter les lieux, car nous n’avions, soi-disant, pas le droit de distribuer des tracts ou de collecter de l’argent sans les syndicats. Nous n’avions que peu de tracts car nous les tirions à nos frais. Nous avions pris contact avec les managers des restaurants des alentours (dont Mc Donald’s, KFC…) pour qu’ils nous donnent leurs restes du soir en leur expliquant que nous étions en grève, que la direction misait sur l’épuisement de nos ressources en argent et en nourriture, afin que nous quittions les lieux. Ils n’ont pas accepté.
À ce moment nous avons reçu le soutien de l’association d’Anne, d’Evry, qui avait déjà aidé les sans-papiers grévistes d’une entreprise de nettoyage urbain implantée dans cette ville.
Peu après, un autre soutien nous vint d’Alexandre, syndiqué CGT et militant révolutionnaire. En utilisant la reprographie de son entreprise, il put nous tirer quelques milliers de tracts. J’ai repris le texte complet d’un tract que j’avais écrit auparavant, mais que l’UD avait censuré, et imprimé après l’avoir transformé. Comme depuis deux mois nous dirigions notre grève par nous-mêmes, il suggéra que ces tracts soient signés “Comité de grève des sans-papiers du groupe G., site de Viry-Châtillon”. C’est ce que nous avons fait.
Après plus de deux mois de grève, les 7 dossiers restants n’avaient toujours pas pu être déposés, l’entreprise du groupe concernée refusant de remplir les deux CERFAs, formulaires indispensables pour les formalités. La raison invoquée par l’entreprise était que cinq ne totalisaient pas une ancienneté suffisante, et que les deux autres étaient des employés extérieurs. Une délégation s’est rendue à l’accueil de l’entreprise pour recueillir des informations sur ces deux dossiers, informant qu’elle ne quitterait pas ce bâtiment avant d’avoir été reçue par la direction. La direction a choisi l’épreuve de force, demandant à des cadres de l’entreprise de nous faire sortir manu militari, en ayant eu soin que cette scène ait lieu devant un huissier convoqué par ses soins. Nous résistons. Ils en viennent aux mains, coups de pieds, insultes. D’autres grévistes nous rejoignent pour s’interposer. Un des deux salariés concernés est blessé à la main, les pompiers l’évacuent vers l’hôpital, où il reçoit 10 jours d’ITT (incapacité totale de travail). La police intervient, nous demande de sortir après avoir écouté la version des cadres. Nous refusons, demandons de rester pour faire entendre notre version des faits, et préciser que ce n’est pas à la police de décider de notre évacuation. Après le départ de la police, la direction revient à la raison, et accepte de nous recevoir.
La blessure du camarade nous a conduit à porter plainte contre la direction. Informée, la direction décide de faire les deux dossiers et s’associe à la négociation avec l’autre entreprise pour les 5 autres dossiers, à condition que nous retirions la plainte. La presse locale s’empare de cet incident, le relatant dans deux articles. La situation est enfin débloquée, les dossiers de tous les grévistes sont maintenant déposés en préfecture, après trois mois de grève !
Peu à peu, les régularisations arrivent. Une au bout d’un mois, puis 8 autres après deux mois. Une vingtaine en tout après 5 mois. Les convocations à la Préfecture restaient angoissantes, car on ne savait pas toujours à quoi s’attendre : s’agissait-il d’une régularisation, ou d’une arrestation ?
Le silence des élus locaux
Dès les premières semaines de l’occupation, nous avons adressé un courrier aux élus de Viry-Châtillon pour une demande de soutien, financier ou moral. Nous n’avons jamais eu de réponse. C’est pourquoi nous nous sommes déplacés à plusieurs reprises pour les rencontrer dans leur mairie.
En effet, dans cette lutte de sans-papiers, le pire est de rester isolés et invisibles. C’est ce qui m’a poussé à continuer à tendre la main à tous ces élus de l’Essonne. D’autant plus que nous avons travaillé pour leurs villes. Dans nos courriers de demande de soutien adressés à ces élus, on faisait allusion à la précarité de nos conditions d’occupation (on rappelait qu’on dormait sur des cartons ramassés dans les poubelles, sous les cages d’escalier sans chauffage, même par terre, sur des tables, des chaises…). Et tout cela simplement parce que nous exigions notre régularisation, pour vivre dans la légalité et le respect de nos droits en tant que travailleurs, ce qui est une simple exigence de justice sociale.
N’oublions pas que le premier soutien au sein d’une ville devrait être son maire. C’est ce qui nous motivait pour leur écrire, les appeler, nous déplacer jusqu’à leur mairie pour leur demander de venir sur le piquet de grève nous soutenir. Ce soutien que nous cherchions n’était pas forcément matériel, financier ou alimentaire. Il était surtout moral. Mais nous l’avons cherché en vain ! Ces appels au secours étaient des cris dans le désert. Aucun coup de fil de la maire de Viry, pour prendre des informations, aucun élu ne vint spontanément sur le piquet.
Chantal, qui faisait partie de l’équipe de la Maire, nous rendit visite, mais à titre de représentante de l’UD91, pour nous demander ensuite de lever l’occupation, puisque nos dossiers étaient déjà déposés en Préfecture ! Certes nous avons reçu une aide alimentaire pendant 3 semaines, mais elle s’est interrompue sans que l’on sache pourquoi.
Des élus de Viry, des deux rencontres que nous avons eues avec la maire et son équipe, je ne peux garder que de mauvais souvenirs. Madame la Maire tapait du poing sur la table en nous disant : “mais nous comprenons votre situation, elle est injuste. Mais ce problème des sans-papiers est un problème national. Nous ne pouvons pas nous mettre au-dessus de la loi. Les sans-papiers, nous les avons soutenus lors de l’occupation du restaurant B.G.”.
Non madame la maire, ce n’est pas un problème national, mais international. C’est la précarité, la misère. Ces sont ces guerres impérialistes, qui dévastent nos pays en pillant leurs richesses, qui nous font fuir. Et cette exploitation que nous subissons ici, vous en connaissez très bien la cause. Mais je ne sais si vous la combattez ou la soutenez. Six mois de grève et d’occupation dans des conditions d’hygiène épouvantables, avec parfois des camarades qui tombent malades, avec seulement de l’aspirine pour les soigner. Ils disaient que cela leur suffisait. Mais je savais que c’était la fatigue, le stress, le sentiment d’abandon et d’injustice qui les frappaient, alors qu’ils avaient accompli leurs devoirs : travail, cotisations sociales, impôts nationaux… et locaux (taxe d’habitation), Madame la Maire ! Ce dont les politiques ne veulent pas parler. Et Madame la Maire nous disait qu’elle était au courant de toutes nos difficultés et même de l’incident qui avait conduit à la blessure d’un camarade évacué à l’hôpital de Juvisy avec 10 jours d’ITT, l’incident évoqué par la presse locale. Elle nous disait être au courant des incidents par les journaux, et suivre l’évolution de la situation par l’intermédiaire de Chantal (que pourtant nous ne voyions plus depuis des semaines).
Nous avons même été mieux accueillis dans une mairie de droite dont le maire a reconnu l’absurdité de la situation des sans-papiers, y compris dans sa commune.
Face au même silence des élus de Grigny, la ville voisine, nous sommes allés leur rendre visite à deux reprises. L’accueil fut plus chaleureux qu’à Viry : ils étaient gênés, mais nous écoutaient et ne nous coupaient pas la parole. A l’issue de notre deuxième visite, nous avons eu des coups de fil et reçu 12 lits de camps. Ils se sont engagés à soutenir les dossiers restants.
Dans l’Essonne il existe un centre de rétention. Élus de l’Essonne, allez-vous laisser ceux qui, comme nous, construisent et entretiennent vos villes y être enfermés et expulsés ? Un de ceux qui a participé à la construction du centre de rétention du Mesnil-Amelot y a été placé par la suite ! Quelle horreur ! Dans ces centres passent des milliers de travailleurs, et même des enfants. Et nous qui n’y sommes pas encore placés ni expulsés, nous vivons dans une prison à ciel ouvert. Vous hommes et femmes politiques, avant de donner des leçons sur les Droits de l’Homme en Afrique et ailleurs, commencez à vous battre pour les faire respecter chez vous. D’autant plus que la France est censée être le pays des Droits de l’Homme.
Un comité de soutien : le loup dans la bergerie
Nous affrontons l’hiver dans ces conditions rudes, les cœurs serrés et grelottant de froid de jour comme de nuit, mais avec un seul mot d’ordre jusqu’à la victoire : notre unité. Quand soudain, les socio-démocrates ont cherché à infiltrer le comité de grève. Par socio-démocrates, j’entends ici les ennemis politiques des travailleurs, déguisés en ami politique, syndical, associatif des travailleurs.
Ils formèrent sur le piquet un relais des dirigeants politiques et syndicaux locaux qui n’avaient pas réussi à arrêter l’ouragan. Sous la forme d’un Comité de Soutien, ils ont cherché à se substituer au comité de grève pour prendre la direction du mouvement afin de l’étouffer. Ce comité de soutien formalisé le 1er novembre était leur outil de travail. Ils se servaient de notre lutte pour faire de la publicité à leurs organisations, se servant de nous comme des hommes-sandwich. Ils nous dissuadaient d’interpeller les élus de l’Essonne. Ces manifestations seraient soi-disant contre productives, comme disait Bertrand et certains membres du comité de soutien. Au fond des choses, ils souhaitaient que nous restions cloîtrés dans le silence.
Quand je leur expliquai que le comité de grève reste au dessus de tout, cela leur déplaisait, même s’ils répondaient démagogiquement “bien sûr” avec un sourire. Ce sont de très bons acteurs, je ne comprenais pas au début pourquoi Alexandre m’avait dit que j’introduisais le loup dans la bergerie.
Camarades, si de cette brochure vous retenez une chose, c’est j’espère, apprendre à repérer ces adversaires qui sont les pires, et à ne jamais lâcher la direction de votre lutte. Vos camarades auront du mal à comprendre pourquoi vous opposez à ces “camarades” si sympathiques ! Mais c’est votre devoir de leader de le faire, dans l’intérêt de vos camarades qui ne comprendront pas forcément que vous appeliez “ennemi invisible” celui qu’ils voient comme leur ami, leurs sauveur. Que ceux qui veulent vous soutenir se mettent individuellement aux ordres du comité de grève. Vous serez traité de dictateur, mais c’est le seul chemin qui vous permettra de tenir la barre jusqu’à la victoire. Nous avons fini par dissoudre ce comité de soutien. J’aurais du, dès le départ, m’opposer à sa mise en place. Le bateau du comité de grève a tangué mais nous avons remis ces pirates dans leur petite chaloupe, qui retourna surfer sur le web. Le complexe d’infériorité des travailleurs sans-papiers doit disparaître pour céder la place à leur unité. Pour ceux qui pensent que les travailleurs sans-papiers sont des travailleurs fragiles, incapables de gérer leurs luttes, nous avons été un contre-exemple.
Enfin la victoire
Après 6 mois de grèves, 30 sur 31 grévistes étaient régularisés.
”Je suis enfin un homme libre me dit, les larmes aux yeux, l’un d’entre eux. Après 8 années de clandestinité, je pourrai enfin aller voir ma femme et mes enfants au pays, relever la tête et être fier de moi. Il était temps de mener cette lutte.”
Oui, mon cher camarade, mieux vaut tard que jamais. Mais simplement si nous, la classe pauvre, les misérables de la société, les inférieurs, les humiliés, les exploités, nous les travailleurs avec ou sans-papiers, si on pouvait simplement se rendre compte de notre puissance au sein de la société, on se serait servi depuis longtemps de ce pouvoir pour redresser toutes les barres.
Conclusion
Nous qui avons fui nos pays respectifs assiégés par les impérialo-capitalistes, dont les États sont en guerre pour leurs intérêts et pas pour ceux des peuples, nous nous sommes retrouvés dans un monde sans droit. Car quels sont les nôtres ?
Après avoir traversé la Méditerranée au risque de nos vies, même si nous venons d’un pays en état de guerre, il n’est pas facile d’obtenir en Europe le fameux statut de réfugié. Un tel refus est-il acceptable ? Michel Rocard a dit que la France ne peut accueillir toute la misère du monde, sans poser la question de l’origine de cette misère. Mais les politiques comme lui connaissent la cause de cette misère. C’est l’impérialisme qu’ils défendent.
Ils nous claquent les portes par-ci, par-là. On a même du mal à se faire soigner, à obtenir les droits élémentaires. Mais aux aéroports, à l’Élysée, à Matignon, ils déroulent le tapis rouge à nos dirigeants, pour des négociations confidentielles et souterraines ! Que font-ils d’autre ensembles ? En tout cas ils ne parlent pas des droits des sans-papiers expulsés, des anciens combattants, pas des droits des travailleurs qui voudraient bénéficier de leur retraite en rentrant en Afrique, pas non plus de faire la lumière sur le cas des sans-papiers qui laissent leur vie dans les centres de rétention ou dans les bavures policières. Sinon Hortefeux ne se serait pas vanté de son score de personnes expulsées par la force, avec une fierté à rougir pour longtemps. Cette situation est non seulement une réalité mais est devenue une banalité car la presse relate régulièrement ces expulsions, ces bavures, ces morts, les incidents dans les centres de rétention.
À nos dirigeants africains, nos bourgeois, leurs confrères bourgeois du monde entier ne leur fermeront jamais la porte. Ils viennent passer leur visite médicale, leur bilan de santé à l’Hôpital du Val-de-Grâce, et repartent en catimini comme si de rien n’était. Le lendemain, on entend à la télé que tel ou tel pays occidental a fait une aide de 800 millions au Mali pour l’aide au développement. Et c’est ainsi qu’on essaye de nous voiler la face, par ces cadeaux empoisonnés.
Oui, mon cher compatriote, nous avons entendu ce qu’un État occidental nous a offert. Alors, qu’avons-nous fait pour qu’il fasse ce cadeau ? Quelle démagogie ! Car au fait, ou passent nos matières premières (l’or, le pétrole, le bois, le fer, l’uranium, le cotran, la bauxite, etc…). Ces états avec des entreprises comme Bouygues, Total, nous prennent cent fois plus qu’ils ne nous donnent, et ce n’est pas avec autant de publicité. Ce cadeau est aussi le prix du silence sur l’exploitation de cette jeunesse, des sans-papiers expulsés, sans droits.
Le développement de l’Afrique n’a pas sa source dans ces cadeaux empoisonnés. La jeunesse ne veut pas du poisson, elle veut le droit de pêcher. C’est à nous, les travailleurs africains exploités de redresser la barre. Combien nos associations de sans-papiers ont-elles construit de routes, de dispensaires, d’écoles, creusé de puits, fondé de coopératives d’aide alimentaire, investi pour l’irrigation, financé des soutiens scolaires. Nous avons compris que l’aide la plus utile et la plus rentable est celle qui vient de nous-mêmes, et pas des États impérialo-capitalistes ni du “codéveloppement”.
Nous, les travailleurs, sommes les vrais vecteurs du développement de nos pays. Nous apportons des projets concrets pour la population qui gémit toujours sous le poids des guerres, de l’exploitation, de la corruption, de l’oubli. Nos aides sont largement supérieures à celles des cadeaux empoisonnés. Les richesses africaines doivent appartenir aux travailleurs qui les produisent.
Nous, les sans-papiers, ne nous faisons pas d’illusion, ce ne sont pas les appareils syndicaux qui éclaireront notre histoire. C’est à nous de la faire, de parler en notre nom. De ce que l’on a vécu, ce que l’on vit, de notre devenir. La blessure c’est la nôtre, l’humiliation c’est nous qui la vivons tous les jours. C’est nous qui avons perdu des camarades en traversant la Méditerranée, laissant derrière nous toute une vie, toute une histoire.
Non, ne manquons pas ce rendez-vous. Cette histoire, c’est nous qui devons la raconter. Chacun est son propre historien, son propre écrivain. L’essentiel c’est cette histoire authentique que nous racontons, ce qu’aucun historien ne peut faire sans nous. Prendre ce bâton de pèlerin est un devoir, pour expliquer, informer, former pour mieux préparer les prochaines luttes. Bref, enseigner les conditions de la libération de la classe ouvrière.
Travailleurs de tous les pays, avec ou sans-papiers, à vos marques, unissons-nous !